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la vieillesse. Moi-même, je commence à vivre de trop bonne heure. J’aurais dû attendre à avoir les cheveux blancs. À cinquante ou soixante ans, un sage aborde l’existence ingambe, alerte, avec des trésors d’expérience, des goûts raffinés et cette jolie fleur de naïveté qu’a entretenue l’étude. Et puis, n’est-ce pas amusant d’arrêter sur la route de pauvres vieillards de votre âge, qui ne marchent qu’avec des béquilles, pour leur dire : « Je fais les sottises que vous faisiez quand vous aviez vingt ans. Donnez-moi donc des conseils. » Car leur sagesse les encombre et ils se réjouissent de vous montrer qu’ils sont encore bons à quelque chose.

Mais au milieu de nos babillages, de nos baisers, le souvenir du passé se réveillait, plus torturant qu’une brûlure.

— Dans quel monde criminel ai-je vécu ! m’écriais-je.

Michele des Étoiles alors me rassurait.

— Ma chère amie, disait-il, nous vivons tous dans un monde de ce genre, et nous sommes tous criminels : le Doge qui déclare la guerre, le voleur qui assassine, l’amoureux qui tue, l’enfant qui martyrise les animaux, le chat qui étrangle la souris et le chien qui étrangle le chat. Nous ne pouvons même pas concevoir un Dieu qui ne soit pas criminel, car c’est une absurdité d’imaginer qu’un être tout puissant puisse permettre ce qui lui déplaît si fort. Ainsi, acceptons le meurtre comme une loi du monde, sans trop nous effrayer d’y être soumis. Nos existences ne sont probablement pas plus précieuses que celle du zanzaire qui veut prendre notre sang et auquel nous prenons la vie, pour le punir d’attenter à notre bien-être.

Nous étions sortis de la charmille et nous nous