— Puisqu’il voit que je ne l’aime pas, disais-je, pourquoi s’obstiner à m’aimer ?
Un soir arriva chez nous une femme, habillée d’une robe en loques, qui avait l’air d’une mendiante, mais dont le visage se cachait sous un voile brodé.
Elle découvrit sa figure.
— Cecca ! m’écriai-je en la reconnaissant, quelle a donc été ta conduite pour que tu tombes dans une pareille misère ?
Elle éclata en sanglots.
— Regarde, fit-elle au milieu de ses larmes, ils m’ont coupé les cheveux, et si tu voyais mon corps ! depuis les épaules jusqu’aux jambes, ce n’est qu’une plaie.
— Mais la raison de tout cela, Seigneur Jésus !
— Ah ! la raison ? je ne la sais pas. Sous prétexte que j’avais eu des relations avec un maure, on nous a saisies, Morosina, une servante et moi, on nous a jetées en prison et…
Elle ajouta, accablée de honte :
— On nous a fouettées toutes nues par la Mercerie. Ah ! il y a du sale monde sur la terre, vois-tu !… jusqu’à un de mes anciens amants qui m’a craché à la face !
— Pauvre petite !… Et Morosina aussi a été fouettée ?
— Non, elle avait de l’argent : elle a pu échapper au supplice, elle s’est sauvée à Ferrare, mais moi, je n’avais pas un ducat dans ma bourse ; alors voilà ce qui est arrivé !
Un sanglot étrangla ses paroles.
— Mais qu’est-ce qu’ils ont donc maintenant, à Venise, m’écriai-je, pour persécuter les femmes ?