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— Oui, je vous promets de vous rendre très heureux, seulement il faut que vous me donniez de l’or, beaucoup d’or.

Il voulut prendre sur sa tête des cheveux pour se les arracher, mais, n’en trouvant pas, il se contenta de me repousser ; puis, se levant, il se mit à trépigner en hurlant de colère :

— Voilà ce que j’attendais : on me demande de l’or, de l’or, toujours de l’or, mais est-ce que j’en ai, est-ce que j’en tiens, moi, de ce gibier infernal, de ce cochon maudit, de cet or damné !

— N’êtes-vous pas alchimiste ?

— Je suis un alchimiste, c’est vrai, mais un alchimiste honnête, et, quoique vivant au Ghetto, bon chrétien. C’est vous dire que je n’ai jamais usé de la Pierre qu’avec discrétion. Il y a des gens qui, de paroles, méprisent la fortune et, de fait, oublient de vivre pour la rechercher. Je me contente de ne point l’estimer plus que ne veut le Seigneur. Et je gagne mon existence à tourner des pieds de table.

— Mais vous ne faites donc pas d’or ?

— J’en ai fait autrefois, mais cela coûte trop cher ; d’ailleurs le métier est perdu aujourd’hui : on ne nous en demande plus. Tenez, regardez ces cornues, ces alambics, ces in-quarto : j’ai mis ma fortune à les acheter. Un jour, je rencontre chez un brocanteur de Vicence un manuscrit arabe, fort précieux, que je payai dix mille ducats. Je ne savais pas la langue : je m’occupai aussitôt de l’apprendre, et, au bout de vingt ans, j’arrivai à lire le livre couramment et à connaître toutes les combinaisons pour se procurer de l’or. Malheureusement, un ver avait rongé les feuillets à l’endroit où l’on indiquait les matières à combiner. J’ai bien essayé de les découvrir à l’aide de mes propres lumières, mais mes expériences n’ont pas abouti.