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— Eh bien, gros père ! dit-il, c’est toi qui vas commencer !

Mais Arrivabene s’excusa de ne point obéir à une proposition si gracieuse sous prétexte que sa voix était enrouée.

— Seulement, ajouta-t-il, je ne chante pas que d’en haut ; j’ai des talents cachés, et il suffit que vous désiriez les connaître, pour que je m’empresse de vous satisfaire.

— C’est ça ! frère ! c’est ça ! criait-on, montre tes talents cachés.

Devant la volonté de tous, Arrivabene ne crut pas devoir se dérober. Il tourna le dos aux convives, s’agenouilla, mit la face contre terre et, pour que les sons ne fussent point étouffés, il se troussa le froc autour des reins. Il préluda sur un mode si plaintif, dans une tonalité si haute, si aiguë qu’on eût dit la complainte de quelque misérable prisonnier, au fond d’une geôle douloureuse. Mais comme la chère copieuse du dîner n’avait pas mis la noce en veine de tristesse, cette voix gémissante provoqua la plus franche gaieté. Seul le Beccafico, impassible, la bouche ouverte, écoutait avec recueillement et semblait chercher le secret d’une mélodie si chagrine.

— Parions que t’en pousses pas trente, fit-il.

— Parions un gâteau d’amandes que si, repartit Arrivabene qui nous montra un instant son visage en feu.

— C’est dit, mais j’compte !

Dans son art, le derrière d’Arrivabene ne s’en tenait pas à un seul genre. En reprenant ses exercices, il eut des notes graves, sévères, d’une suite fort majestueuse. Puis, pareil à un orgue de cathédrale, il déchaîna la foudre, lança dans l’air des voix angéliques, mima les appels discordants des démons ; et,