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dans leur course. Au milieu de mon trouble, je me sentais attirée par ces foules joyeuses comme s’il était possible, à leur contact, d’oublier sa tristesse et de gagner l’insouciance. Ces pauvres paysans, dont plusieurs faisaient carême toute l’année, ne se tenaient pas d’impatience à la pensée du dîner copieux qui allait leur être servi. Ils imaginaient, par avance, les pièces de volaille, les gâteaux et les fruits qui devaient composer le repas, tout en se grattant l’oreille ou en se nettoyant le nez du bout du doigt. Quelques-uns, moins soucieux de leur ventre, échangeaient leurs impressions sur le costume des époux, sur la robe de la petite châtelaine, sur le pourpoint en velours vert du duc Gacialda. Ils ne concevaient pas des manifestations plus parfaites du luxe et de l’élégance, et ils restaient encore éblouis de ce qu’ils venaient de voir. Le cardinal excitait aussi les curiosités. On se demanda ce que pouvait bien être ce seigneur habillé de rouge. Tout le monde se détournait sur son passage et on l’examinait, par derrière, en détail. Un paysan ne résista pas au désir qu’il avait de connaître Benzoni et, après s’être incliné très bas, il lui tendit la main.

— Dîtes donc, messer, seriez-vous point l’oncle de not’ châtelaine ?

Le cardinal promenait sur les groupes son regard dédaigneux, tandis que Coccone fronçait les sourcils et repliait la lèvre inférieure sur son menton, inconsolable d’avoir posé le pied au milieu d’une mare et trempé le bas de sa soutane.

L’idée de l’étreinte prochaine, qui allait ensanglanter une vierge, rendait les vieilles, selon leur caractère, graves, jacasseuses, prodigues de confidences. Sous leurs longs voiles noirs, elles penchaient l’une contre l’autre leurs figures jaunes comme des coings, ridées comme l’écorce d’un chêne, se chucho-