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amours. Et je songe à celui qui m’a remplacé. Il est donc plus beau que moi ?

— Donato, je vais être franc car ton orgueil a besoin d’une leçon. Apprends donc à te connaître un peu, mon ami, et à ne pas exagérer ta valeur : tu n’as que des grâces de village, tu n’es qu’un rustre agréable à la campagne, mais dont les formes paraîtraient lourdes à Venise. Si tu as jamais satisfait chez moi une passion grossière, mon âme n’a jamais été à toi ; ne te compare donc pas à l’enfant merveilleux qui règne à présent sur mon existence : je l’aime, celui-là, d’un amour que toi, pauvre moine, tu ne peux comprendre, et qui égale en beauté les plus sublimes sentiments que les hommes aient jamais éprouvés. Mon pauvre Donato, il n’y a rien de commun entre nos anciens plaisirs, si vulgaires, et ces divines caresses.

— Quand je pense, quand je pense que vous me disiez autrefois : Donato, tu es le seul être auquel je tienne sur la terre.

— Certainement ! l’Amour a des formules de politesse qui sonnent bien à l’oreille, mais que personne, sauf toi, ne prend à la lettre. Je te croyais un esprit plus fin, Donato.

— Assez ! assez ! je ne souffrirai pas…

— Je suis curieux de savoir ce que tu ne souffriras pas, mon ami.

— Je ne souffrirai pas que, après m’avoir, dans le couvent où j’étais, fait courir le risque d’être brûlé, après m’avoir contraint à me sauver et à me cacher ici, vous veniez encore ce soir m’accabler de vos sarcasmes. Puisqu’on ne doit pas plus se fier à vos serments qu’aux promesses d’un ruffian ou d’une courtisane, laissez-moi du moins en repos. Laissez-moi ! je vous hais.