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— Seigneur ! seigneur ! fit le moine en tombant à mes pieds, je vois que vous ne me pardonnez pas de vous avoir trouvé beau. Je n’avais aucun désir de pécher, je vous assure. Pourquoi Dieu nous aurait-il donné des yeux et aurait-il créé des formes qui leur sont agréables si ce n’était pour nous permettre de jouir de la beauté ? Je préfère, je l’avoue, aux gentils hommes, les gentilles dames ; elles ont la chair plus abondante et plus douce ; mais, avec un désintéressement tout à fait sage, je me contente de regarder les femmes comme les hommes sans prétendre rien sur leurs personnes. Je connais, sur ce point, la règle du couvent et je m’y soumets. Il a fallu ce vin pour troubler mes idées. C’était aussi du Paradiso ! Et je ne suis pas coupable, car j’ai imploré le secours du Ciel, j’ai dit vingt fois le premier verset de la prière que Monseigneur Benzoni m’avait appris à réciter au plus fort de la tentation, mais le bon Dieu n’a pas voulu l’entendre. Elle est jolie pourtant :

Illa die tenta est, tenta est et nocte ; nec unquam
Decidit ; arrectum est nocte dieque caput.

— C’est là, coquin, tout le beau latin d’église qu’on t’a appris !

— Mais, seigneur, je ne sais pas le latin, moi, je répète ce qu’on m’a enseigné à dire. Je ne lis guère dans les livres, seulement j’ai un peu de mémoire et quelque jugement.

Il eût parlé de la sorte jusqu’au matin si je ne lui avais ordonné de se taire, le menaçant, au premier mot, de le frapper de mon poignard. Il se coucha donc, et je le vis bientôt clore les paupières. Pour ne pas sentir la mauvaise odeur du moine, je répandis sur sa robe et sur mes vêtements un flacon d’eau de naffe que je portais sur moi ; je m’étendis à côté du frère et je m’endormis.