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mais les barcariols avaient composé une ignoble chanson sur Guido qu’on appelait « la femme du cardinal ». J’étais consternée à de tels récits.

— Ô abomination ! m’écriais-je.

— Il faut fermer les yeux sur ces bizarreries de la nature, disait Fasol, quand elles se rencontrent chez un aussi galant homme que Monseigneur. Mais je ne pardonne pas à ce vaurien de Guido. De telles amours sont seulement excusables dans l’adolescence, alors que les sexes ont encore peur l’un de l’autre et qu’ils ont besoin de se connaître eux-mêmes avant de s’unir pour l’œuvre commune. Guido, n’étant ni un enfant, ni un grand homme, mérite le bûcher.

— Tais-toi ! Tais-toi ! répliquais-je : c’est le cardinal qui l’entraîne à son horrible passion.

— Avoue donc, continuait Fasol, que tu as aimé Guido. Tu as eu grand tort, car c’est un misérable qui finira sa vie aux galères s’il ne la termine, comme frère Gennaro, entre les deux colonnes de la Piazzetta.

Cependant, au palais Benzoni, les journées ne se passaient pas toutes en réjouissances. Un événement inattendu venait d’y porter une inquiétude extrême. Le secrétaire de Sa Sainteté, Monseigneur Valmarana était mort à Rome subitement et l’on craignait que son successeur, l’archevêque de Sorrente, ne se servît de son empire sur Clément VII contre son cousin le cardinal. Naguère, il lui avait disputé vainement l’héritage d’un oncle, l’abbé Roccaforte, et il ne s’était jamais consolé d’avoir perdu une si grosse fortune. On pensait donc bien qu’une fois en faveur auprès du pontife, il montrerait la persistance de sa rancune et de son envie. Aussi, à Venise, la disgrâce du cardinal était-elle le sujet de toutes les conversations ; si rien,