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cacher mes larmes et mon humiliation dans ma chambre, d’où je pus entendre leurs rugissements de plaisir.

Il était généreux sans prodigalité. Quand il avait reçu un envoi d’argent d’un prince ou de la Seigneurie :

— Voici ta part, faisait-il en me comptant les ducats.

Mais je devais me contenter de ses cadeaux et ne rien lui réclamer.

Je me demandais quelle étrange fascination j’avais subie pour m’être brusquement décidée à échanger des relations profitables contre un amour qui m’était odieux. L’orgueil nous avait réunis ; et, maintenant je restais attachée à Fasol, dans l’espoir de profiter de ses relations avec le cardinal pour revoir Guido, qui était devenu secrétaire de Monseigneur. Me souvenant de l’expression d’enthousiasme que j’avais cru remarquer dans sa physionomie le soir de la fête, j’espérais qu’il ne me ferait pas mauvais accueil, mais je ne pouvais aller le trouver au Palais dont l’entrée, comme courtisane, m’était interdite, et où j’avais tout à craindre du Cardinal et de Coccone. Je les soupçonnais fort en effet, d’avoir, au théâtre, empoisonné le vin qui m’était destiné et qu’avaient bu mes malheureuses compagnes.

Les nouvelles que me rapportait Fasol désolaient mon amour : elles l’eussent ruiné s’il n’avait été indestructible. Je ne pouvais plus douter de la réalité. Benzoni ne quittait pas Guido. Il semblait même que le cardinal, fier de la beauté de son ami, fut heureux de donner sa passion en spectacle à Venise entière. Ils ne se cachaient point. Au Palais, en gondole, dans les jardins de Murano, on avait vu leurs caresses ardentes. Benzoni couvrait son vice de tant d’élégance et de poésie, que le monde lui pardonnait,