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— Nos amours doivent servir à nos instincts de mâles et à nos rêves d’artistes, mais ne pas dominer notre existence. Pour moi, si mon corps ne peut pas rester vierge, mon esprit le sera toujours.

Cette déclaration souleva toute ma haine.

Je ne lui pardonnais pas de différer des autres et de refuser mon joug. Je l’aurais souffleté devant son ami si j’avais osé. Des hommes m’avaient léché les pieds, d’autres me révérèrent accroupie ou malade, d’autres chérirent mes insultes et mes coups. Fasol ne voulait même pas aimer mon esprit. Doutait-il donc de son existence ?

Dès le premier jour de notre liaison, il m’avait imposé sa volonté, me contraignant de quitter Morosina pour venir demeurer avec lui.

Il me traitait en servante d’amour et en belle statue.

Après des nuits passées en d’ardentes étreintes, il ne me laissait pas, le matin, prolonger mon sommeil.

— Allons ! paresseuse ! me criait-il de son atelier, viens poser : tu as assez dormi.

Car, pour lui, les baisers, loin d’épuiser les forces, illuminaient le génie. Il fallait voir avec quelle fougue il peignait ses Bains de Diane ; ces admirables filles nageant en troupe parmi les poissons, les cygnes, les nénuphars, sous les grands feuillages des rives, tandis que de petits amours narquois les poursuivent d’une pluie de fleurs.

— Te rappelles-tu, disait-il, que tu ne voulais pas venir poser quand tu étais page du cardinal ? Tu avais peur de me montrer cette belle gorge, (et il en baisait les fleurs). Va ! je ne t’aurais pas trahie, délicieuse fille !

Quand il m’avait annoncé que la Seigneurie lui avait commandé une fresque pour la salle du Grand Conseil et qu’il m’avait choisie pour symboliser Venise,