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la figure dans sa jupe qu’elle avait relevée sur ses yeux.

Je n’avais pas rencontré l’abbé depuis le jour où il m’avait vendue à Schifkat ; mais son image venait encore la nuit épouvanter mes rêves. Que de fois je m’étais réveillée en sueurs, oppressée d’une angoisse mystérieuse. « Qu’as-tu ? me demandait mon compagnon d’amour. — L’abbé Coccone, m’écriais-je, l’abbé Coccone qui va venir m’enlever d’ici. » On souriait, on m’appelait folle ou bien, tout en me caressant, on sollicitait des explications. Mais bavardages et baisers calmaient à peine ma frayeur.

Maintenant l’épouvantail était devant moi. Et j’avais beau me répéter que je n’avais rien à craindre de cet homme, je ne parvenais pas à dissiper le malaise que m’avait causé sa soudaine apparition.

— Que vient-il faire ici ? me demandais-je.

Pourtant Coccone avait l’air plus risible que terrifiant, avec son corps maigre, pareil à une planche dans sa soutane trop serrée. Il nous regardait, la tête basse, d’un coup d’œil oblique et perçant en soutenant avec effort sous son bras un gros livre.

J’observai qu’il essayait de sourire, mais comme c’était, sans doute, la première fois que pareille chose lui arrivait, il ne parvenait qu’à rendre ses lèvres plus grimaçantes et à se creuser de nouvelles rides sur son vieux visage au teint de feuille morte. Il nous passa en revue toutes les trois d’un regard rapide, puis, les paupières baissées, comme s’il allait réciter l’Évangile :

— Ne vous échauffez pas trop, mesdemoiselles, dit-il, et gardez vos émotions pour la scène. Vous ne devez plus songer qu’aux admirables vers que vous allez dire tout à l’heure. Et il ajouta en poussant un soupir : Ces vers qui me reportent aux plus beaux