Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Non, dit-elle, mon ami serait jaloux de nous voir nous embrasser comme cela.

— Laisse donc, s’écria Fenice, moi aussi, j’ai un amoureux.

— Ah ! la fourbe ! fit Orsetta.

À ce moment, une petite clochette s’agita et nous aperçûmes des moines noirs qui s’avançaient en tenant des cierges à la main. Ils étaient suivis de soccolanti, aux cagoules fermées, qui portaient sur une civière une large châsse recouverte d’un linceul.

— Voici les restes des condamnés à mort, remarqua Michele. La Seigneurie leur accorde enfin une sépulture chrétienne, mais ils n’arriveront pas tout entiers en terre bénie : les corbeaux en auront eu leur part.

— Michele, répliquai-je, il me semble que le vin vous remonte en aigreurs aujourd’hui. Vous n’avez plus vos hautes et sereines pensées.

— Vous avez raison, dit-il, un bon dîner vous rend l’âme orgueilleuse. Quand j’ai le ventre plein, je me crois Dieu et je suis disposé à regarder avec mépris cette vieille humanité.

Les soccolanti, en cet instant, passaient sous la fenêtre, chaussés d’épaisses socques de bois, et les dalles claquaient sous leur marche rythmique.

— Chut ! fis-je, voici les Morts.

Alors, nous signant toutes trois, nous nous agenouillâmes et restâmes prosternées jusqu’à ce que se fût éteint le bruit des pas.

— Au revoir, Nichina ! me dit Michele en s’éloignant, rappelez-vous mes leçons. Je reviendrai tout à l’heure vous applaudir.

— Michele, lui criai-je, Alcmène doit-elle bouder ou se mettre en colère, vous savez, dans le passage où elle reproche à Jupiter de l’appeler impudique ?…