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ivres de rage, se précipitèrent sur le peuple. Un cri d’épouvante, un bruit horrible d’écrasement s’élevèrent de la multitude, tandis qu’un corps inerte, lancé avec une force extraordinaire, passa par-dessus la porte et vint s’étaler à mes pieds. Je reconnus le cadavre d’un jeune homme ; la tête fracassée n’était plus qu’une boule informe et repoussante.

Saisie d’horreur, je voulus d’abord m’enfuir ; puis j’eus pitié du pauvre mort : ne pouvant, sans aide, le transporter, j’appelai Morosina ; mais la comtesse avait disparu et j’étais seule dans la rue, maintenant silencieuse, devant la porte de l’Herberie obstruée d’une masse sanglante. Au hasard, j’entrai dans une maison que je trouvai ouverte. Une vieille dame, les manches retroussées, préparait le repas du soir, allant de ses casseroles au feu brillant du foyer. Je ne réussis pas à lui faire entendre mes paroles.

— Parlez plus haut, ma fille, disait-elle en approchant l’oreille de ma bouche ; parlez plus haut ! Et elle ajoutait avec une grimace : Le bruit de la fête m’étourdit.

Cependant, avec des signes, je parvins à l’amener jusqu’au seuil, d’où je lui montrai le cadavre. En un clin d’œil, je la vis s’élancer, se pencher haletante sur le visage en bouillie, et d’un coup, se rejeter en arrière. Elle fût tombée à la renverse si je ne l’eusse retenue dans mes bras.

— Au secours ! au secours ! criai-je à des personnes qui traversaient la ruelle. Au secours ! messer, madame, arrivez ! arrivez donc !

Une petite mendiante vint m’aider à transporter la vieille femme dans sa maison, où l’on mit aussi le cadavre.

Autour de nous j’entendis chuchoter :

— C’était son fils.