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gré tout ce que je pouvais leur cracher d’insultant. J’avais beau lever la main pour les souffleter, mes yeux et mes lèvres démentaient mon geste et ils se doutaient que, cette fois, je ne leur voulais point de mal.

Au milieu d’une forlane, on me frappa sur l’épaule. C’était Morosina qui, ne pouvant danser à cause de son embonpoint, jugeait ce plaisir malséant pour une dame et me priait de partir.

— Ah ! sale mère rabat-joie, dis-je, agacée, d’une sollicitude si persistante : il faut toujours que vous veniez m’enlever à mon amusement.

— Je songe à votre fortune, ma fille, puisque vous n’y pensez pas.

Et elle parla d’un ton si solennel, si dominateur, que je la suivis encore.

Mais, comme nous arrivions sur l’Herberie, des détonations éclatèrent, et une foule énorme, qui se précipitait à notre rencontre, nous força de nous réfugier dans la ruelle de la Pâtisserie, proche de la place.

Là, nous apprîmes d’un passant qu’il y avait eu une course de buffles sur l’Herberie, et que des pétards, lancés imprudemment, avaient épouvanté les bêtes, leurs conducteurs, et jeté un grand désordre dans l’assistance. En voyant les buffles furieux s’élancer sur les spectateurs, des zaffi eurent la malencontreuse idée de fermer tout à coup les portes qui barraient, de notre côté, les issues de l’Herberie et la foule qui, prise de panique, s’était mise à fuir, vint se briser contre les panneaux de fer.

J’aperçus des faces aux yeux blancs, agrandis par la terreur, se coller contre les barreaux, des mains crispées, folles, se tendre vers les chaînes qui retenaient les portes et essayer de les arracher. Soudain, au milieu des détonations persistantes, deux buffles,