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demeurèrent un instant immobiles Enfin, d’un effort en arrière, Samuele se redresse, se retourne, arrache les mains qui l’enchaînent, et, tandis qu’une masse sanglante se détache lourdement de son corps, il élève, puis serre une bourse contre son sein. Déjà il a bondi vers la palissade qui sépare les juges du peuple, et, se baissant très vite, il passe sous la barrière, entre les sbires trop surpris pour inquiéter sa fuite. Après le premier moment de stupeur, on court à son adversaire ; on reconnaît qu’il est inanimé. Alors, un cri d’horreur s’élève, et, de tous côtés, j’entends retentir cet appel furieux d’indignation :

— Arrêtez l’assassin !

— Tu ne viens pas à la collation du Lido ? me dit Marietta Vespa qui, je ne sais comment, se trouvait du côté des juges et, un peu gênée par la foule, ne savait rien de ce qui s’était passé. Sans doute, ajouta-t-elle, tu y verrais ton amoureux.

J’étais encore sous le coup du spectacle auquel j’avais assisté, mais le mot de Marietta me rendit la mémoire ; l’image du beau jeune homme que j’avais admiré avant les jeux, vint m’occuper l’esprit et chasser toute fâcheuse émotion.

— Allons ! dis-je à Marietta, partons.

Et, profitant du trouble qui régnait parmi les juges et les sbires, j’enjambai la barrière et gagnai la Piazzetta.

Les gondoles couvertes de glaces, de guirlandes de roses entrecroisées sur des brocarts d’or qui trempaient dans l’eau, semblaient des corbeilles d’amoureuses. Les jolies passagères, par leur collerette de dentelles, ouverte très bas, laissaient voir la naissance des seins, et leurs bras nus s’enfonçaient, avec une ombre charmante, dans les larges manches de