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vue d’un pareil homme, ne peuvent avoir qu’un caprice, ne sont pas dignes de le posséder.

Elle me considéra d’un œil curieux et étonné, tandis que je regardais le visage de l’admirable jeune homme se confondre avec les têtes rudes et grossières de la foule pour disparaître enfin au milieu de ces vagues humaines.

Autour de nous, le peuple trépignait d’impatience et criait :

— Les courses ! Les courses !

On attendait le départ du Doge pour commencer les divertissements.

D’abord les zaffi repoussèrent le peuple contre Saint-Marc de façon à laisser le milieu de la place libre, puis cinq coureurs s’avancèrent. C’étaient des marchands juifs que Venise forçait à prendre part aux jeux et qui s’y résignaient de bonne grâce, dans l’espoir d’un gain médiocre ou d’une petite récompense. Il y avait trois vieillards et deux jeunes garçons. Un concours de ce genre paraissait d’autant plus piquant que les longues jambes des plus âgés, l’ardente célérité des autres rendaient les chances égales. À eux cinq, ils semblaient représenter toutes les variétés de la race, depuis le peseur d’or au nez crochu, aux paupières lourdes et gonflées, jusqu’à l’adolescent fier, dont le nez fin, les yeux clairs et tranquilles, la démarche hardie, trahissent le sang des maîtres.

— Est-ce vous qui allez remporter le prix ? père Samuele, fit l’un des jeunes gens en clignant de l’œil à un long vieillard.

— On ne sait pas, mon enfant, dit le bonhomme auquel on s’adressait ; et, relevant la tête, arrondissant le ventre, il promena les yeux tout autour de lui avec la solennité d’une dinde qui, perchée sur un mur, contemple à ses pieds l’agitation de la basse-cour.