Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toute chatoyante de couleurs, toute palpitante de lumière et de mouvement, sous les larges étendards des confréries, gonflés comme des voiles. Venise entière s’était réunie là, en un instant de joie et d’enthousiasme. Pour moi, je ne détournais pas les yeux du vaste dais de pourpre qui traversait la place et sous lequel se trouvaient le Doge, les pregadi, le Grand Conseil, toute la puissance qui faisait trembler le monde. À un moment on lâcha des colombes devant mon char et, d’une estrade construite au milieu de la Place, j’entendis s’élever un concert de violons et de flûtes, tandis que des voix claires d’enfants chantaient un hymne à Vénus. Je fus sur le point de défaillir.

Le char avançait toujours ; il arriva bientôt sous le dais, au pied de la tribune qu’on avait élevée devant Saint-Marc et où j’aperçus le Doge qui parlait à haute voix à un homme vêtu de satin noir. Je reconnus Fasol ; derrière lui étaient assis le cardinal Benzoni, le Patriarche, les podestats, les provéditeurs, dans un flot de pourpre, de soie claire, de damas sombre, parmi des chaînes étincelantes. Un officier me tendit la main pour me faire descendre du char. Deux pages me remirent le coussin sur lequel était posée une couronne de laurier d’or, et me précédèrent dans la tribune où, m’étant agenouillée, je présentai au Doge la couronne. Il la saisit vivement et, la mettant sur la tête de Fasol :

— Accepte, dit-il, l’hommage de cette Cité dont tu es la gloire.

Une acclamation formidable monta de la Place, que l’agitation des spectateurs et la diversité des costumes, resplendissants de lumière, emplissait comme d’un vol infini et bigarré de papillons.

— Longue vie à Fasol ! criait-on, honneur au divin artiste !