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son m’avertir que la Seigneurie me choisissait, à cause de ma beauté, pour figurer aux fêtes que Venise allait donner en l’honneur de Fasol. Cette nouvelle me transporta de joie. Pendant plusieurs semaines, je ne fus occupée que de préparer mon costume. Enfin, un jour, je ne fus pas peu étonnée de rencontrer Monseigneur Benzoni en personne, qui m’attendait dans le vestibule. Je ne pus me défendre d’un mouvement de frayeur, mais le cardinal, sans paraître le remarquer, vint à moi, et, m’ayant saluée, m’adressa toutes sortes de compliments. Il n’avait point changé : je retrouvai dans ses traits ce mélange de bienveillance et de dureté qui m’avait frappée la première fois que je le vis. Il me parla de la sorte :

— Votre beauté, ma chère fille, est la gloire de Venise ; c’est pourquoi le triomphe de Fasol ne peut se passer de votre présence. Vous avez bien voulu conduire le cortège, mais nous attendons aujourd’hui davantage de votre générosité. Un acteur, qui devait jouer le soir de la fête, est tombé malade. Accepteriez-vous de le remplacer ?

J’étais toute tremblante de crainte, d’orgueil, de plaisir.

— Moi ? monseigneur, mais je ne saurai pas ! j’aurai peur sur la scène !

— Vous avez toutes les grâces et toutes les audaces : pourquoi auriez-vous peur ? Voici les pièces ; si vous y consentez, nous allons les lire ensemble, comme nous lisions des vers lorsque vous étiez mon page.

Tandis qu’il m’expliquait mes rôles, je le considérais avec étonnement, car il ne m’avait point habituée à tant de courtoisie. Son offre m’avait tellement enthousiasmée, que je me reprochai d’avoir eu pour lui tant de haine autrefois. Je brûlais de lui demander des nouvelles de Guido, mais je n’osai pas.