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volte-face de Coccone. Il établissait des rapprochements flatteurs entre sa fortune et celle du saint, dont il n’oubliait que le crucifiement.

J’eus la bonne fortune de ne point trouver fermé le palais Guarini ; et, prenant l’escalier qui conduisait aux appartements de l’abbé, je montai de suite à sa bibliothèque.

Lorsque j’entrai, je l’aperçus assis entre un gros livre et un plat énorme de macaroni. Une jolie villageoise, ressemblant davantage à une chambrière d’amoureuse qu’à la gouvernante d’un ecclésiastique, s’amusait de voir son maître manger de si bon cœur. Le prêtre avait l’appétit exigeant et ponctuel d’un érudit sans gourmandise qui, contraint à une grande dépense de force, se sent dans l’obligation de la réparer fréquemment. À voir Coccone enrouler avec méthode les pâtes autour d’une cuiller, puis approcher la cuiller de sa bouche, béante comme un puits, on eût dit le jeu mécanique d’un moulin à deux roues que reliaient les tuyaux blancs et effilés partant du plat et venant aboutir à ses lèvres.

Comme il ne paraissait point prêter attention à mon entrée :

— Mon père, fis-je, je voudrais vous parler.

En reconnaissant ma voix, l’abbé, qui ne m’avait pas encore vu, laissa, de surprise, tomber sa cuiller dans son assiette, mais il resta attaché à son plat de macaroni par trois longues chaînes de pâte.

— Comment ! Lorenzo, dit-il après m’avoir considéré quelques instants, c’est à cette heure que vous venez me voir ! Ne savez-vous pas que je m’étais réservé la nuit pour élever à saint Pierre le monument qu’il attend de ma piété ? On voit, mon fils, que vous menez une vie de dissipation-et de paresse et que le temps ne compte plus pour vous. Sachez-le : cette heure