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excellente soirée, un souper plein d’entrain. Il était tard quand la comtesse, ayant sommeil, pria l’Espagnol de l’excuser et nous laissa seules avec lui.

Don Gaspar ignorait les délicatesses qui charment l’oreille des jeunes Vénitiennes et, embarrassé par notre idiome, il résolut d’user seulement de ce simple langage qui est compris par toute la terre. Cecca m’avait révélé quels étaient les desseins de la comtesse à notre égard. Étonnée d’abord qu’on pût concilier les soins d’une vertu si rigide avec des préoccupations qui, le plus souvent, n’en comportent guère, je compris que l’existence a de dures lois et, à pareille école, je crus qu’il était de mon devoir de m’y soumettre. Alors, comme Cecca, souriante et lâche, ne se défendait plus qu’avec ses mains, je trouvai qu’il était préférable de faire grâce du prélude à un homme qui n’en sentait point la valeur, et je m’étendis tout de mon long sur le tapis, très calme, disposée à mener au plus vite une comédie dont je savais le dénouement et qui n’avait aucun intérêt pour moi. Après avoir caressé Cecca un instant, Don Gaspar s’approcha de moi, mais son amour ne fit que m’effleurer. J’attendais de sa part une attaque plus rude, quand je le vois frapper du pied, me menacer du poing et ouvrir la porte. De toute sa voix il appelait la comtesse.

Morosina de Jacomo surgit en déshabillé, très inquiète, semblable à un vieux tableau craquelé. Ses cheveux gris se laissaient voir insolemment sous la teinture ainsi que, par la chemise entr’ouverte, des seins en calebasse, si tombants qu’elle eût pu les rejeter, comme des sacs, par-dessus ses épaules. Ce manque de décence, mieux qu’un sermon, eût inspiré la vertu. Pourtant elle n’était pas sans prestance avec son menton à trois étages.

— Comtesse, comtesse, répétait l’Espagnol avec