Page:Rebell - La Nichina, 1897.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’étais jolie et cela me rassurait un peu, car je m’imaginais changée, défigurée, laide à faire peur. Je voulus savoir à quoi m’en tenir et je m’approchai du bénitier pour me mirer dans l’eau sainte ; mais, comme il était très haut, je regardai s’il n’y avait personne dans l’église et j’allai tout doucement chercher un escabeau dans la chaire du curé.

Je fus toute consolée de me voir. Oui ! le prêtre n’avais pas menti : malgré la fatigue de mes traits, j’étais jolie, plus jolie que Térésina, dont les parents étaient si fiers mais qui avait le nez trop relevé, plus jolie que Nanna qui est une belle fille, certes ! mais qui a des yeux de souris. (Elle est morte maintenant, la pauvre, mon Jésus, faites-lui miséricorde !…) Et je m’amusai de mes yeux bordés de sang et de mes joues rouges comme si on les avait claquées.

Sotte ! triple sotte ! me dis-je, est-ce que, pour l’avoir perdu, les servantes du cardinal se portent moins bien, est-ce que la grande Aurélia ne rit pas, comme avant, au nez de tout le monde, est-ce que Niccolosa ne va pas entrer en ménage ? Il ne faut pas être triste. Et Guido reviendra : il est impossible qu’il ne revienne pas ; il sera trop heureux de jouir de ta beauté.

J’avais repris confiance ; comme pour m’encourager, un rayon venait de se glisser dans la nef. Je me penchai encore sur le bénitier, dont l’eau brillante, irisée sous le soleil, reproduisait mon visage, au milieu des verrières bleues et roses de l’église.

Hélas ! ma joie fut de courte durée. Au moment où je levais la tête, j’aperçus le sacristain qui accourait, scandalisé de ma posture inconvenante. Il me saisit le pied et me le secoua en criant :

— Voulez-vous descendre, petite vesseuse, voulez-vous descendre ?