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malgré moi, les morceaux dans la bouche et que je vidais, sans m’en apercevoir, la fiasque de Chio. Il me laissa enfin, la tête lourde, le corps pesant de ce dîner forcé. Je m’abandonnais au sommeil quand le mouvement de la galiote m’avertit qu’on levait l’ancre et que nous gagnions le large. La mer était grosse et battait le navire en tous sens. Les vagues se brisaient contre les parois avec un bruit insupportable. Soudain la porte de la cabine s’ouvre brusquement : Schilkat apparaît.

— Prépare-la ; Josouff, dit-il en vénitien au serviteur qui le suivait. La traversée va être dure, je le prévois, cela me donnera du cœur.

Sans savoir ce qu’ils attendaient de moi, je laissais, dans mon demi-sommeil, Josouff m’étendre sur le tapis, m’écarter les jambes, honteuse de cette exposition mais trop lasse pour ne pas être résignée à tous leurs caprices.

— Eh bien, capitaine ! demandait Josouff.

Et brutalement il me manie comme un ballot de toile : il me saisit par les épaules, me relève, me retourne, m’agenouille, me forçant à courber la tête et à tendre les reins ; puis ses doigts s’égarent…

— Eh bien, capitaine ? demande-t-il encore, qu’est-ce que vous attendez ?

— Eh bien, imbécile ! s’écria soudain Schifkat, ne vois-tu point ce qu’elle a au cou ?

En même temps il se précipitait sur moi et prenait une petite médaille que m’avait donnée le cardinal.

— Cette fille, continua-t-il, est protégée par Allah ; il nous arriverait malheur si nous y touchions.

— Alors vous êtes de ceux dont parle le Prophète, qui « attribuent des filles à Dieu et n’en désirent pas pour eux-mêmes ».

— Je te rappellerai ces autres paroles du Prophète,