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pas encore cette pauvre fille : elle est assez malheureuse sans cela.

Je levai un regard de gratitude sur mon défenseur. Avec sa barbe longue et malpropre, ses bons yeux, son nez flaireur, sa lippe qui laissait passer un petit bout de langue, il avait l’air de ces chiens qui vagabondent dans les ruelles, dont toute l’occupation est de salir et de caresser.

— Va, continua-t-il en s’adressant à l’homme qui avait voulu me maltraiter, conduis-la dans notre chambre et nourris-la bien pour qu’elle soit en d’agréables dispositions ce soir.

Josouff obéit et me fit descendre dans une élégante cabine. Voyant que son maître s’intéressait à moi, il se montra aussi attentionné qu’il avait été cruel. Il alla chercher des tapis pour que je fusse plus moelleusement couchée, m’apporta un pâté, des fruits et du vin de Chio. J’enlevai alors mon fazzuolo et le voile qui m’entourait la tête

— Où suis-je ici ? demandai-je toute surprise.

— Vous êtes dans la galiote du capitaine Schifkat dont on admire la hardiesse aussi bien à Alger qu’à Constantinople.

— Mais que me veut-on ?

Pour toute réponse, il me montra, dans un sourire, des dents longues et brillantes.

Il s’était agenouillé devant moi, me pelait les fruits et me versait à boire. J’étais si émue que d’abord je touchais à peine à ce qu’il me présenta. Et comme il me remplissait de pleines coupes :

— Vous voulez donc m’enivrer ?

— Cela ne fait rien. Il faut manger, manger.

— Mais vous allez m’étouffer !

— Cela ne fait rien.

Il me pressait tellement que je mettais, comme