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— Seigneur abbé, fis-je, grâce ! ayez pitié !

Les mots expiraient sur mes lèvres ; je n’avais plus de souffle. Les bateliers me regardaient avec étonnement ; quant au visage de Coccone, il conservait la même expression d’indifférence.

— Je ne veux pas de ces manières, s’écria-t-il, relevez-vous de suite ! entendez-vous ?

Tandis que je me relevais toute tremblante, l’abbé, se courbant, attira un paquet caché au fond de l’embarcation.

— Vous allez, me dit-il, quitter ces habits de garçon et reprendre le costume de votre sexe.

Je n’avais qu’à obéir. En rougissant de honte, je me déshabillai devant les rameurs, qui dévoraient d’un œil allumé tout ce que le vent et le roulis leur livraient de mon corps. L’abbé me passait les vêtements un à un, insensible et pressé.

Quand j’eus fini, il m’enveloppa la tête d’un voile à la façon des paysannes de Trévise, puis, comme si je n’avais, pas, à son gré, la figure assez couverte, il me mit sur le visage un grand fazzuolo qui me retombait jusque sur les seins et dont le tissu serré me permettait à peine de voir au travers.

À ce moment le bateau, qui ne s’était pas éloigné des dunes, s’avança plus lentement et sans secousse, comme abandonné au flot. Nous longeâmes des felouques, des galiotes à l’ancre dont les matures craquaient et dont je vis osciller les vergues. Un rameur m’apprit que nous étions à Malamocco. Tout à coup, l’homme qui était à l’avant poussa un cri auquel un cri répondit presque aussitôt, et nous approchâmes d’une galiote verte dont une petite statue d’argent ornait la poupe. Dès que nous l’avons jointe, l’abbé saute vivement à bord, me tend la main et, disant aux bateliers de me soutenir par derrière, il m’entraîne