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DES TEMPLIERS


grand point était de présenter les chefs de l’ordre au pape.

On craignait avec raison qu’ils ne se justifiassent, en dénonçant les vexations qu’eux et tous les autres chevaliers éprouvaient depuis longtemps.

Il fallait donc éviter l’entrevue dangereuse du grand-maître et des chefs avec le pape.

Mais, d’un autre côté, c’était donner au pape lui-même des soupçons et des inquiétudes, que de laisser à Paris les chefs de l’ordre, quand on lui présentait quelques chevaliers.

C’était aussi s’exposer aux murmures du peuple, et à la méfiance des rois et des princes.

Les ministres de Philippe-le-Bel trouvèrent un expédient. On transféra, avec les chevaliers, le grand-maître et les autres chefs de l’ordre ; mais on ne conduisit jusqu’à Poitiers que les soixante-douze chevaliers.

Le grand-maître et les chefs restèrent à Chinon, et sous prétexte que quelques-uns d’entre eux étaient infirmes, deux cardinaux vinrent les interroger.

Pourquoi le pape, dans une occasion si importante, dans une affaire qui intéressait si essentiellement la chrétienté, ne se transporta-t-il pas à Chinon, qui n’est qu’à une petite distance de Poitiers ? Pourquoi du moins n’appela-t-il pas à Poitiers ceux des chefs qui n’étaient pas infirmes ? car le pape lui-même avoue qu’ils ne l’étaient pas tous. Pourquoi ne mit-il aucun empressement à entendre lui-même le grand maître qui, dès les premières calomnies, s’était empressé d’accourir auprès de sa sainteté, et de lui attester l’innocence de Fordre ?

Pourquoi enfin, puisqu’on put ramener ces chefs de l’ordre, de Chinon à Paris, ne leur fit-on pas faire le court trajet de Chinon à Poitiers, ayant de les ramener dans leurs prisons ?

Le pape, d’ailleurs, devait être empressé d’entendre Hugues de Peraldo, l’un des chefs de l’ordre, parce que Philippe-le-Bel s’était plaint de ce que les commissaires du pape ayant admis ce chevalier à leur table, il avait profité de cette circonstance pour rétracter ses aveux-precedents.

Quoi qu’il en soit, les commissaires du pape écrivirent au roi que Jacques de Molay, Hugues de Peraldo et d’autres chefs avaient fait des aveux.

Le pape, de son côté, s’en prévalut pour ordonner la poursuite de tous les templiers dans toute la chrétienté.

Mais lorsque le grand-maître parut par devant les commissaires qui prirent, à Paris, l’information contre l’ordre, il nia avec indignation d’avoir fait à Chinon, les aveux qu’on lui prêtait, et il demanda de paraître devant le pape (1)[1].

La seule dénégation du grand-maître, appuyée de toutes les circonstances que j’ai déjà relevées, sur ce qu’on avait empêché son entrevue avec le pape, suffirait peut-être pour convaincre l’homme impartial ou que les cardinaux avaient attesté une faussete, ou, ce qui est peut-être plus vraisemblable, que les agents de Philippe-le-Bel avaient presenté d’autres individus, ce qui était très facile, le grand-maître n’étant vraisemblablement pas connu des cardinaux, n’entendant pas la langue latine dans

  1. (1) Processus contra templarios.