Page:Raynaud - Le Signe, 1887.djvu/19

Cette page a été validée par deux contributeurs.


À UNE PASSANTE


Chère, en la splendeur d’un crépuscule, apparue,
 Fière et sans souci des regards mauvais,
Tandis que vous marchiez, tête haute, en la rue,
 Vous ne saviez pas que je vous suivais.

Moi, j’étais si timide à vous voir apparaître
 Dans l’or alangui de ce soir d’été,
Que je n’eus pas le cœur de vous parler. Peut-être
 Eût-ce été par trop de simplicité !

Qu’aurais-je dit d’ailleurs que vous puissiez entendre
 Sans gestes ni cris, comme il est discret ?
Sans même me connaître, auriez-vous pu comprendre
 L’élan de cœur ouvert qui s’offrait ?

Pour moi je vous suivais, sans oser davantage,
 Sans espérer rien de ce jeu perdu,
Qu’un peu de votre grâce emportée au passage
 Et qu’un rêve mort, un instant rendu.
 
Pourtant, si vous aviez su combien à cette heure
 Votre calme allure allait étouffant,
Comme un bruit de feuillée où l’oiselet s’épeure,
 En ma chair perverse un deuil triomphant