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charles baudelaire

qu’il avançait en âge et que l’ombre s’épaississait autour de lui.

On sait que le vœu caressé de Baudelaire était de vivre auprès d’une maîtresse « comme un chat voluptueux auprès d’une reine ».

J’eusse aimé, dit-il en parlant d’une géante, « voir son corps fleurir et grandir librement »,

Parcourir à loisir ses magnifiques formes

Et

Dormir nonchalamment à l’ombre de ses seins.

Ce n’est pas là le vœu d’un amant décidé. On n’imagine point le muletier de La Fontaine, se tenant au lit, près de sa partenaire.

Comme au long d’un cadavre un cadavre étendu


et se prenant à songer

À la triste beauté dont son désir se prive.

L’obsession d’une autre, c’est l’éternel prétexte que Baudelaire mettait en avant pour excuser sa froideur. On peut dire qu’il manquait tout au moins, dans ce domaine spécial, de tempérament. Sa débauche était toute cérébrale, et Jeanne Duval nous est une nouvelle preuve qu’il aimait respirer la fleur de l’Amour sans la cueillir. Était-ce par impuissance, par « nihilisme spécial », comme le