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charles baudelaire

se mêlait, certains soirs, un public tapageur d’étudiants. C’est là que Nadar la vit.

On jouait un drame — je souligne, un drame — de Labiche : L’avocat Loubet, précédé d’un lever de rideau : Le Système de mon oncle. C’était une première ; la Presse avait été conviée.

Le Système de mon oncle servait de prétexte aux débuts de Jeanne Duval[1]. Elle y parut en soubrette, tablier blanc, bonnet de tulle au vent ; mais, outre qu’elle manquait de vocation, rien ne seyait plus mal à la condition de son rôle que « le sérieux, le hautain de sa physionomie et le timbre de sa voix de contralto ». Sa haute taille (elle dépassait les autres d’une tête) soulignait encore la méprise. L’insuccès fut éclatant. Elle n’insista pas. Après trois représentations, elle quitta la scène pour reprendre sa vie de femme galante.

Toutefois, si elle n’avait pas brillé par le talent, elle avait eu le temps d’impressionner, par sa beauté étrange, un spectateur dont on ne nous dit pas le nom, que Nadar nous donne comme son ami et qui n’était peut-être que lui-même. Ce spec-

  1. Nadar, qui a rédigé ses Souvenirs de mémoire, à un âge avancé, se trompe lorsqu’il place ces débuts aux environs de 1839-40. La preuve en est qu’il ajoute que ces débuts précédaient de peu (2 ou 3 mois) sa première entrevue avec Baudelaire. Or, nous savons par Banville, qui les présenta l’un à l’autre, que cette entrevue n’eut lieu qu’en 1842, à la belle saison, et quand Baudelaire habitait déjà l’hôtel Pimodan.