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CHARLES BAUDELAIRE

à-dire qu’il ne lui a pas été possible de se réaliser dans l’Unité. Il le sait et il s’en excuse en invoquant le droit de se contredire. Il est néanmoins symptomatique que son rêve démesuré d’orgueil n’ait abouti qu’à d’humiliantes confessions et que son Art, qui va révolutionner la Poésie et la Critique et leur ouvrir des voies si neuves, reste entiché du vieux Credo, de l’idéal fossile du régime absolutiste. Il est indiscutable encore que ce grand artiste, épris de perfection, a cédé, à son insu, à la contagion jusqu’à commettre des fautes de goût[1].


    plante en tous lieux les arbres de la Liberté. On traque, avec la dernière rigueur, la propagande bonapartiste, mais l’on ramène les cendres de Napoléon et on leur confère l’apothéose. On dégage le centre de Paris et on aère ses rues, mais on l’étrangle d’une ceinture de fortifications.

  1. Je sais que la perfection d’écrivain de Baudelaire est aujourd’hui reçue comme un dogme. MM. Anatole France, Remy de Gourmont, Charles Morice, Camille Mauclair, parmi tant d’autres, ont longuement insisté sur la pureté classique de son style au point d’évoquer Racine à son propos. Ce sont là des autorités indiscutables et l’on ne peut, pour ce qui est de l’ensemble, que se ranger à leur opinion. Mais n’est-il pas permis de découvrir, çà et là, dans cette langue, si ferme et si saine à l’habitude, des marbrures de décomposition et des traces de décadence ? Je ne parle pas de l’Ex-voto dont le gongorisme exaspéré est de circonstance, mais Racine, même acquis à la couleur romantique, eût-il pu souffrir ceci :

     « Tes nobles jambes, sous les volants qu’elles chassent,
    Tourmentent les désirs obscurs et les agacent,
     Comme deux sorcières qui font
    Tourner un philtre noir, dans un vase profond…