Page:Raynaud - Baudelaire et la Religion du dandysme, 1918.djvu/34

Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
CHARLES BAUDELAIRE

mords. Il est malade, rongé de soucis ; toutes ces faces bourgeoises reluisent de santé et disent la joie de vivre. Il déborde d’amertume. L’insouciance de ces cœurs béats l’irrite. C’est pour lui « faire œuvre pie », comme dit Aurel, que de les saccager. Il se vêt, pour les effarer, d’accoutrements singuliers. On le vit se promener, un jour, avec une perruque verte. Qu’il s’entretienne avec l’un d’eux, il ne manquera pas d’émailler sa conversation de propos tels :

Quand j’avais la gale… — Moi qui suis fils de prêtre ! … — Le jour où j’ai jeté ma maîtresse par la fenêtre. … — Ne trouvez-vous pas que la cervelle de petit enfant a comme un arrière-goût de noisette ?

Ouvrez les mémoires du temps, les Baudelairiana d’Asselineau, vous y trouverez mille aphorismes de cette trempe. Tout cela, à vrai dire, nous paraît bien anodin et bien inoffensif, mais il paraît que cela portait sur les imaginations neuves et crédules du temps. D’ailleurs Baudelaire allait plus loin. Il blasphémait, et l’on était encore trop près de la loi du sacrilège pour n’en pas ressentir une vague terreur. Il stupéfiait les gens par un étalage de propos séditieux, de paradoxes et d’hérésies qui sentaient la hart, le carcan et la place de grève. Attitude étrange pour qui ne voit que ses insolences