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Histoire philosophique

plorer des ſecours qu’ils n’obtenoient pas, & ils attendoient paiſiblement la mort.

Que l’on ſe figure maintenant une ſemblable calamité affligeant une partie de l’Europe. Quel déſordre ! Quelle fureur ! Que d’atrocités ! Que de crimes ! Comme on verroit nos Européens ſe diſputer leur ſubſiſtance un poignard à la main, ſe chercher, ſe fuir, s’égorger impitoyablement les uns les autres ! Comme on les verroit, tournant enſuite leur rage contre eux-mêmes, déchirer, dévorer leurs propres membres, &, dans leur déſeſpoir aveugle, fouler aux pieds l’autorité, la raiſon & la nature !

Si les Anglois avoient eu de pareils événemens à redouter de la part des peuples du Bengale, peut-être que cette famine eût été moins générale & moins meurtrière. Car ſi nous avons cru devoir rejeter loin d’eux toute accuſation de monopole, nous n’entreprendrons pas de les défendre ſur le reproche de négligence & d’inſenſibilité. Et dans quelle circonſtance méritèrent-ils ce reproche ? C’eſt dans le moment où ils avoient à choiſir entre la vie & la mort de pluſieurs millions d’hommes. Il ſemble que dans une pareille alterna-