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l’île des femmes

et en escadre, au feu. À Port-Mahon, avec La Galisonnière, aux Antilles, sous d’Estaing, ma pipe, sans trembler, fit la nique aux Anglais. Je me souviens aussi de m’être frotté quelques fois, à la hache ou au sabre d’abordage, avec ces messieurs corsaires et pirates, dont mon vaisseau fut toujours nettoyé. Enfin, depuis quarante ans que je navigue, mon poil s’est durci. Et je voudrais bien, tonnerre de Brest ! connaître celui qui dirait que Le Buric, une seule fois, perdit son courage. Eh bien ! Dieu me pardonne, aujourd’hui, je ne suis plus moi, et tout ce que je vois me désoriente et me met à bas. C’est pire qu’après un naufrage. Que ferons-nous contre ces bateaux qui vont sous l’eau et dans l’air et contre ces gens de l’enfer qu’ils portent ! Mille bombes de mille bombes ! Qui eût dit que pareil grappin dût m’amariner !

En disant cela, le capitaine ne parlait à personne. C’est avec lui-même qu’il s’entretenait ainsi à haute voix, tout en fourrageant de ses doigts irrités la brousse crépue de sa chevelure. D’ailleurs, à partir de ce moment, énergique et tout à son affaire, le vieux routier des mers demeura muet, verrouillé comme un coffre à finance.

Mais, pour Dyonis, l’attraction de la ville féérique fut plus forte que l’appréhension glaciale. De nouveau il observa la terre mystérieuse avec sa lorgnette.

— Est-ce splendide ! remarqua le lieutenant Tamarix, repris lui aussi par l’enchantement.