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TROIS PARMI LES AUTRES

constatent, c’est plus qu’elle n’en peut supporter. Cet inconnu aura d’elle une image humiliante. Quel tourment de penser à tous ces doubles de vous-même qui habitent l’esprit des gens et qu’ils pétrissent à leur fantaisie ! Suzon prend une revanche anticipée :

— C’est ridicule, ce nom de Polygone.

— C’est un surnom, explique Antoinette. Polygone est un garçon multiple, plein de surprises. Polygone a je ne sais combien de côtés. Un esprit visionnaire, extravagant, hanté d’images fraîches et d’obscénités chinoises. Une âme tendre et simple. Un révolutionnaire qui ne fréquente que les duchesses. Il est fou de musique nègre et pleure à la Neuvième. Ultra-moderne et romantique. Citoyen d’Europe (Moscou y compris) et bourgeois de Passy. Du génie par éclairs, de l’esprit toujours, une sensibilité qui se voudrait féroce. Que dire encore ? On le définirait jusqu’à demain sans arriver à en faire le tour…

— Comment est-il, physiquement ? Quel âge a-t-il ? demande Suzon, très intéressée.

— Il a vingt-quatre ans. Il a des cheveux blonds qu’il secoue de tous les côtés, de grosses lèvres tartares, un nez cruel, des yeux célestes. Je te le ferai connaître, si tu veux. C’est mon meilleur ami. Mais écoutez : « Ma chère Tony. »

— Tiens, c’est gentil, Tony. Je vais t’appeler comme ça.

— Polygone trouve qu’Antoinette, c’est trop long pour être moderne.

Elle reprit :

« Ma chère Tony, je viens de penser à toi en enfilant le pyjama ocre et noir que tu m’as fait