Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/61

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
51
TROIS PARMI LES AUTRES

ans, silhouette imprécise, dont tu sais seulement qu’il est beau. C’est tout pour le physique, car nous sommes une jeune fille pleine d’âme. Le moral… Ah ! le moral, je m’y perds, tant il a subi de transformations ! Bruno-caméléon, Bruno-Protée, modelé et remodelé par tous les livres que tu lis, par tous les rêves que tu fais, par chacun de tes états d’âme — et de corps, ma chère…

« Tantôt spirituel et libertin, mais toujours plein de respect : l’essence du libertinage dépouillée de ce qu’elle peut avoir d’offusquant.

« Tantôt mystique, un moine à peu de chose près. Un moine amoureux, ni dépravé ni austère, et tellement pétri de divin que l’on cueille sans effort Dieu sur ses lèvres.

« Tantôt Don Juan, un Don Juan qui a traversé les expériences les plus infâmes et qui te dit sa joie d’être régénéré par l’amour que tu veux bien lui accorder. Dis-moi, dans les régions idéales où les Don Juan régénérés sont l’amant d’une seule femme, ils emportent tout de même leur bagage d’expérience ?

« Bruno encore, cet ami si grave, au beau front, qui ne respire que passions austères, devoir, travail et qui vous promet à tous deux une destinée pleine de bonheurs fulgurants et cependant bénie par l’humanité (il oublie que ce sont généralement les destinées des sacrifiés et non les vies fulgurantes qui sont bénies par l’humanité). Bruno, ce jeune compagnon un peu fou, avec qui tu sautes les haies… Et bien d’autres, bien d’autres, Antoinette, qui ont tous un trait commun dans leur diversité : c’est qu’ils portent un masque à la ressemblance du réel, mais le réel est ce valet,