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TROIS PARMI LES AUTRES

qu’ils examinaient, décortiquaient fibre par fibre avec une lucidité incohérente et cruelle. C’était bien pis quand les démons se mêlaient de philosopher car ils discutaient à perte de vue sans aboutir jamais.

Antoinette s’imaginait parfois plonger à leur suite dans des régions clair-obscures où s’enchevêtraient des myriades de racines. C’étaient les causes des actions humaines. On ne voyait à ce réseau ni commencement ni fin, ni dessin d’aucune sorte, et quand elle avait longtemps tâtonné à travers le labyrinthe, l’égarée désespérait de l’esprit, scaphandrier aux semelles de plomb. Les démons n’en voulaient peut-être pas davantage.

Ils s’étaient juré cette nuit de la tourmenter en abolissant et ressuscitant tour à tour le temps écoulé. La diversion créée par Annonciade fit que leur jeu prit un autre cours.

La jeune fille se mit à penser à cette amitié, la plus grande douceur de sa vie depuis qu’elle était seule au monde. Une voix lui insinuait que cette amitié n’était qu’un simulacre de l’amour. Ne reposait-elle pas sur un équilibre de qualités viriles et de vertus féminines ? Qu’est-ce que cela voulait dire ?

— Gare aux conclusions simplistes, avertit une autre voix.

« Rien n’est simple.

« Homme, femme, c’est bientôt dit. Chaque être est né d’un homme et d’une femme. Dans quelles proportions les deux principes sont-ils distribués en chacun de nous ? Sont-ils distincts, sont-ils mêlés, et, s’ils sont mêlés, comment les reconnaître ?