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TROIS PARMI LES AUTRES

nageur qui suffoque. Antoinette lui toucha l’épaule :

— Ce n’est rien. Les chouettes… Dors.

— Ah ! c’est vrai, tu es là.

Elle se recoucha en marmottant : « Sales bêtes, » s’allongea avec béatitude dans le sillon chaud creusé par son corps. Antoinette est là, il n’y a rien à craindre. Déjà le sommeil la berçait sur sa houle muette. Une pensée parvint encore à émerger. Elle bredouilla :

— Tu ne dors pas ?

— Si. Dors.

Annonciade étendit la main, rencontra le bras de son amie, le serra un instant, comme pour la remercier de sa présence rassurante. Sa main retomba : elle dormait.

Antoinette, immobile, les yeux ouverts dans l’obscurité, s’efforçait de ne pas bouger pour ne pas troubler ce sommeil de petite fille. Quant à elle, trop d’émotions l’avaient assaillie aujourd’hui pour qu’elle pût reposer. Le calme ambiant ne faisait que surexciter son cerveau enfiévré où défilaient toutes sortes d’images accourues du fond du passé. La vivacité des impressions d’enfance qu’elle retrouvait aussi brillantes que des diamants conservés dans la sciure de bois et l’identité du décor lui faisaient perdre la notion du présent — mais elle en reprenait conscience par intervalles et chaque fois cet atterrissage sur le sol du réel lui était douloureux.

Depuis l’âge de quinze ans, elle éprouvait assez fréquemment de ces insomnies qui la livraient à ses démons intérieurs, bâtisseurs de chimères ou juges minutieux de ses actes et de ses pensées,