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IV

Elles entrèrent à Gagny sous les rayons du soleil couchant. C’était l’heure où les villages retentissent d’un bruit de seaux remués, de voix criardes et du mouvement des bêtes qui vont à l’abreuvoir.

L’auto avait quitté la grand’route pour un chemin pierreux qui montait à flanc de coteau. Elle déboucha sur le tumulte de la place de la fontaine et reprit la montée en cahotant.

Antoinette, à chaque instant, répondait au salut de femmes fraîches, un peu couperosées déjà et larges des hanches. Il lui fallait un effort de mémoire pour reconnaître dans ces jeunes paysannes les fillettes avec lesquelles elle avait joué ; elles étaient autrefois de son âge : maintenant un écart sensible les séparait.

Le chemin pierreux décrit une courbe et s’élargit. Ce n’est pas la fin du village, mais son centre : une sorte d’esplanade qui laisse un grand espace vide devant la grille, la cour et les trois corps de logis en fer à cheval qu’on appelle ici le « château », en souvenir du temps où un hobereau cachait sa misère sous le toit couleur de capucin aux trois girouettes criardes. La grille est ouverte à deux battants sur la cour pleine d’herbe ; on voit le double perron qui monte vers une porte-