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TROIS PARMI LES AUTRES

étrangère afin qu’elle leur apprît à se bien coiffer.

Charmant sycophante aux faux rubis, voleur de figues, voleur de filles, comme vous saviez tromper ! C’est avec vous que Suzon passera ses vacances. Le soir, couchée sous un dôme d’air moite, elle vous rejoindra pour des aventures dont nul ne saura le secret. Elle restera éveillée dans la nuit, les yeux ouverts et fixes, la gorge sèche, les tempes battantes, jusqu’à l’heure où les pas des percherons qui vont aux Halles martèleront son rêve trouble, tandis que l’odeur des chargements de légumes montera sous ses fenêtres, — et ce sera comme si la campagne, la forte et juvénile campagne coulait à travers la ville échauffée.

Alors Suzon pensera aux deux qui dorment là-bas, dans la maison d’Antoinette, fenêtres ouvertes sur un verger plein de lune. Et elle sentira, au fond de sa gorge, le nœud de féroce amertume que connaissent seuls les acteurs méconnus et les petites filles jalouses.

Elle pleure déjà, rien qu’à l’imaginer. Annonciade, qui survient, s’étonne :

— Suzon ! Ma Suze ! Qu’est-ce qu’il y a ? Mais qu’est-ce qu’il y a, enfin ?

Dans les bras qui l’entourent, Suzon sanglote furieusement. Elle est sur le point de crier :

— Laisse-moi tranquille ! Va-t’en rejoindre ton Antoinette ! Sales filles, toutes les deux, sales filles !

Mais cette idée la retient, qu’il faudrait fournir une explication. Et, peu à peu, à sentir contre sa joue la joue de sa sœur, la tendresse de leur enfance lui remonte au cœur et l’apaise.

— Tout ça, dit Annonciade, c’est du surme-