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TROIS PARMI LES AUTRES

s’engager comme infirmière dans une colonie malsaine, ou comme radiologiste ?

Antoinette écoutait cette confession pathétique, moins attentive au sens des paroles qu’à une fêlure imperceptible de la voix, qui sonnait faux. Elle regardait aussi ce joli visage où l’appétit de vivre était inscrit en lignes presque brutales : le foin blond des cheveux crêpés, qui s’élevaient au-dessus du front et de chaque côté des tempes, comme dans les portraits des Valois dessinés par Clouet, l’arête bossuée du nez long, carré du bout, le dessin des lèvres pulpeuses, au fort relief, l’eau fuyante des yeux, criblée de points de soleil sous sa transparence verte, non, tout cela ne demandait pas à mourir pour des raisons métaphysiques.

« Pour qui joue-t-elle ce rôle ? Pour elle ou pour moi ? Quel est le mobile sincère de cette comédie ? » se demandait Antoinette, si absorbée par sa recherche qu’elle en oubliait de répondre et que la petite, perdant contenance devant ce regard qui l’étudiait, se mit à parler d’autre chose. Ce jour-là, Suzon avait décrété pour elle-même que l’esprit d’Antoinette était bien inférieur à sa réputation et qu’elle cesserait dorénavant de s’y intéresser. Par malheur, Antoinette ne remarqua pas plus son dédain qu’elle n’avait été sensible à ses avances. Suzon ne cessait d’enrager, mais, par dignité, elle n’en laissait rien voir à sa sœur.

Aujourd’hui, cependant, elle n’avait pas pu se retenir. Elle s’en félicitait, après coup, pensant avoir fait impression.

« Qu’elles y aillent toutes les deux, dans leur