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TROIS PARMI LES AUTRES

voir et vous entendre… Mais n’êtes-vous pas venues souvent sans que je le sache ?

« Dans cette aventure, d’où je sors entièrement dépouillée, quelle est ma part, quelle est la vôtre ? Je voudrais que l’une de vous pût me répondre ; mais peut-être est-il mieux que vous me laissiez ouvert le champ des hypothèses qui enchantent mon mal. Je crois discerner maintenant qu’elle vous appartenait, cette volonté belliqueuse que j’ai toujours sentie en moi dès qu’il était question du vieil adversaire… Espériez-vous donc triompher par moi de celui qui, tant de fois, vous a vaincues ? Est-ce pour cela que vous m’aviez nourrie en guerrière, armée de raison, d’ironie, d’un amer courage ? Pauvres, comme j’ai dû vous décevoir ! Aviez-vous prévu que ma jeunesse prendrait le mors aux dents ? Voilà qu’elle s’est rompu les membres contre l’obstacle et que vous l’entourez, pleines de consternation. Allez-vous savoir me guérir, maintenant ?

« Il nous reste bien des jours à vivre ensemble. Je n’ai plus que vous. Dès que je me tourne vers la vie, mes blessures saignent. Je ne veux plus d’autre compagnie que la vôtre, jusqu’au jour où l’image de ceux qui m’ont fait souffrir et le souvenir de nos conflits, lentement descendus au fond de la grande Mémoire, commenceront à se transformer comme ces récifs dont les fleurs marines et les coquillages déguisent l’âpreté. Dans bien longtemps peut-être, une vivante en qui je renaîtrai avec vous sentira affleurer au bord de sa conscience cet atoll merveilleux qui sera mon ancien chagrin. Et elle ne saura pas pourquoi tel regard d’homme ou telle parole de femme éveillera