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TROIS PARMI LES AUTRES

somnie, elle sentait palpiter une essence extraordinairement subtile qui s’offrait à elle comme un moyen dont il lui appartenait d’user.

Alors, de tout son être, dans ce climat préparé pour la recevoir, elle appela l’ombre chère entre toutes, celle qui ne l’avait jamais abandonnée. Leur dialogue se déroulait au delà des mots, peut-être même au delà du domaine de la musique. Il n’avait pour ainsi dire pas de signification, et se traduisait chez la vivante par des états successifs de mélancolie, de tendresse, d’apaisement.

Peu à peu sa conscience en fut baignée et la pensée reprit son cours, non plus spasmodique, pénible et trouble comme la nuit précédente, mais au contraire continue, fluide et se déroulant sans plus d’effort que si quelqu’un, à l’intérieur d’elle-même, eût pensé pour elle.

— Depuis un instant, je ne me sens plus seule. Comment ai-je pu me plaindre d’avoir tout perdu, quand il me restait la tendresse de l’invisible dont le sang coule en moi avec mon sang ? Je l’ai retrouvée. Je les ai toutes retrouvées, les Innombrables que j’ai si souvent senti vagabonder dans mon esprit comme sur un pont suspendu entre la vie et la mort. Oh ! je voudrais savoir à quelles lois elles obéissent et pourquoi elles se manifestent parfois et d’autres fois se cachent, comme anéanties, et d’autres fois encore se réjouissent ou s’affligent pour moi si obscurément.

« Je voudrais savoir si le bien et le mal sont les mêmes pour elles que pour moi. Il me semble seulement qu’elles aspirent à se souvenir à travers ma conscience et que c’est par un don de prévision qui m’échappe que leurs sentiments quelquefois