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TROIS PARMI LES AUTRES

course de trottinettes au Luxembourg, quand tu seras rentrée ? On va organiser ça, Suzon et moi.

— Entendu. Je m’inscris.

Ces deux-là, Bertrand et Suzon, débordaient de gaieté. Ils ne laissaient rien derrière eux. Les projets qu’ils agitaient ensemble depuis huit jours, ou plutôt que Bertrand formait pour deux (« Vous sortez quelquefois le soir ? On trouvera des trucs. Qu’est-ce que vous aimez mieux, le théâtre ou les boîtes de nuit ? Comment ! vous ne connaissez pas le Jockey ? Immédiatement je vous y emmène, immédiatement ! ») Ces projets tout pétris de lumière électrique, de reflets sur des trottoirs, d’alcools changeants dans la transparence des verres et d’une odeur de brouillard et de fête, happaient leur imagination, qui se retirait des plaisirs passés.

Suzon pensait que Bertrand viendrait quelquefois la chercher à la sortie de la Faculté, pour aller prendre le thé dans un de ces cubes de chaleur où ondulent des bruits de voix, des tintements de cuillères et les émanations sucrées des pâtisseries et des fards brillant d’un éclat gras. Elle se représentait le trajet en voiture par le pont Saint-Michel et le pont au Change, le miroitement boueux de l’hiver sur le pavé, les colonnes de lumière qui tremblent dans l’huile sombre de la Seine. Si souvent elle les avait contemplées, quand elle passait à pied, les semelles froides, ses livres sous le bras. Elle savait bien qu’elles tiendraient un jour leurs promesses. Le reflet des réverbères dans le fleuve jouait sa partie dans l’orchestration mêlée qui, un soir ou l’autre, conduirait l’alouette saoule