Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
17
trois parmi les autres

dans la cour en faisant rebondir la balle sur le pavé chaud.

Annonciade songe à la ceinture dorée des plages que l’été fait briller. Le flot se retire. Le sable qu’il découvre est d’un bleu foncé. Élastique et ferme ; il appelle les pieds nus. Le rire des enfants poursuit le flot qui se retire.

La mer remonte. La crête des dunes court sous le vent. Couchée dans la tombe chaude que le poids du corps a creusée, se laisser recouvrir par la caresse fourmillante, innombrable, du sable ailé…

Antoinette songe à la rue où demeure Annonciade. C’est une rue voisine des Halles où l’air chaud coule lentement, chargé de l’âcreté du naphto-benzol et de l’haleine sucrée des légumes pourrissants. La fausse fraîcheur du soir fait sortir les concierges sur le pas des portes, comme la pluie d’août les escargots. Aux balcons, des fleurs essaient de vivre, mais on n’y voit pas une abeille. Dans une des maisons de cette rue, il y a un front appuyé contre une vitre : le front d’Annonciade. Elle aussi essaie de vivre. La monotonie du trottoir gris l’ennuie — mais elle appréhende de se retourner, car elle préfère encore le trottoir et son ourlet de concierges aux meubles trop connus, à l’atmosphère morose épandue dans la pièce avec la buée du potage. Et son visage est si fané qu’on voudrait le transplanter en pleine terre pour le voir refleurir.

Antoinette relève la tête. Elle a fait son plan.

— Moi, dit-elle, je passerai sans doute mes vacances à Gagny.

— À Gagny ? Dans… ta maison ?

C’est à Gagny que la mère d’Antoinette est