le lointain. Nous étions joliment heureuses dans ce temps-là et nous ne le savions pas.
Annonciade la regarde, frappée.
— C’est vrai. Tu es malheureuse, toi, Antoinette, comment faire ?
— Comment faire ?…
— Pour que tu sois heureuse aussi.
Et, prise d’un grand courage, elle se serre contre son amie et souffle :
— Antoinette… tu l’aimes beaucoup ?
— Oui, répond Antoinette, pâle jusqu’aux lèvres, mais ne t’inquiète pas, ça passera. Ces choses-là passent beaucoup plus vite qu’on ne le croit.
Mais alors, Annonciade veut défendre son propre bien :
— Ça dépend… Moi, je crois que ça ne passera jamais…
Antoinette songe au tourment dont elle a surpris les germes l’autre jour dans l’esprit de Robert. Pauvre Annonciade ! Sera-t-elle heureuse ? Peut-être, si le ciel veut bien lui donner l’aveuglement en partage. « Celles qu’il veut sauver, Jupiter les rend folles. »
— Sois heureuse, mon chéri, dit-elle avec passion. Sois-le pour nous deux. C’est le meilleur moyen d’arranger les choses, vois-tu…
Elle pense : « Si elle est malheureuse, il me le paiera. » Sans savoir au juste quel est cet « il », visé par sa menace. Robert ou l’insaisissable vieil Ennemi ?…
Annonciade, à qui le bonheur est présenté comme un devoir, se dit, comme dans la chanson : « La pénitence est douce. »