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TROIS PARMI LES AUTRES

drais justement effacer ce malentendu. Il est si naturel qu’un caractère comme le vôtre ait une emprise sur ceux qui l’entourent…

— Allez, n’ajoutez rien, interrompt Antoinette avec un sourire mélancolique. N’essayez pas de vous excuser. Il y a longtemps que j’ai compris.

N’a-t-elle compris que cela ? Ah ! qu’il voudrait posséder ses pensées, lire au fond d’elle-même…

— Alors, Antoinette, si vous refusez de m’aider à… à rendre Annonciade heureuse…

— Ne me faites pas croire que vous avez besoin qu’on vous y aide. Vous n’avez qu’à vouloir son bonheur, même si cela vous coûte cher, réplique-t-elle en le regardant au fond des yeux, pour la première fois. Vous n’êtes pas de ces hommes qui se dérobent devant les responsabilités, non ?

— Certes non, dit-il, tout son orgueil galvanisé. Annonciade sera heureuse. Mais venez nous voir souvent, Antoinette, par amitié pour elle et peut-être aussi un peu par amitié pour moi ?

« Cette obstination à faire luire un mirage ! » pensa-t-elle avec lassitude.

Et lui de son côté : « Cette obstination à se dérober… »

Ils sont debout et se regardent. Robert mordille nerveusement ses lèvres minces, enfin conscient des méandres par lesquels son désir l’a conduit ; et voilà que le regard d’Antoinette répond au sien, plein de nostalgie, triste et résigné comme un adieu. Pendant une seconde, leurs regards se prennent, s’enlacent avec le regret sauvage de ce qui aurait pu être.

— Rentrons, dit sèchement Antoinette, les joues glacées.