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TROIS PARMI LES AUTRES

Il la regarda, profondément.

— Mais savez-vous que vous me réduisez à un rôle fort peu brillant, je ne suis plus là dedans que la carcasse de la féerie…

— Je ne l’aurais pas si bien dit. Pour vous consoler, je vous avouerai cependant qu’on peut arriver à aimer la carcasse pour elle-même, mais il faut qu’elle y mette du sien ! Et bien souvent, au moment où nous commençons à aimer la carcasse, elle a cessé de nous aimer… Il est vrai qu’il nous reste encore tant de choses. Comme disait une que j’ai connue : « Un enfant, un jardin… » Ou bien, quand tout nous fait défaut, ces retraites inaccessibles où nous pétrissons le monde à volonté avec la glaise de nos rêves…

— Antoinette, vous me laissez entendre que vous avez fort peu besoin de nous. Est-ce une subtile vengeance de femme ?

— Non, je suis sincère, bien qu’il soit difficile de l’être complètement en cette matière. Fort peu besoin de vous ? Comment dire ? Quand nous sommes heureuses, peut-être, en effet, n’êtes-vous que la cause infime de bonheurs démesurés. Mais quand nous sommes malheureuses, comme vous êtes proches de nous, contre nous, en nous, pareils à des cancers…

— Comme vous avez dit cela…

— C’est une généralité. J’ai l’esprit collectif, vous savez. Quand on parle des femmes, je prends tout à mon compte.

— Antoinette, demanda brusquement Robert, vous viendrez souvent nous voir, quand nous serons mariés ?

— Je ne sais pas, répond Antoinette en pâlis-