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TROIS PARMI LES AUTRES

tenait le couple ébloui, elle recueillait chaque miette de leur bonheur pour le transformer en souffrance. Peut-être cherchait-elle à se venger par cette chimie qui prouvait au bonheur l’instabilité de sa substance. Humiliée et chérissant son humiliation, perverse et cultivant sa perversité, elle se substituait parfois en pensée à Annonciade pour un court moment de délices, et, quand la réalité de nouveau s’imposait à elle, le choc était si violent que son âme défaite cédait à toutes les furies. Elle était secouée d’accès de haine silencieux qui la laissaient épuisée et dont elle souhaitait le retour avec une sombre soif. Plus rien en elle ne rappelait l’amazone qui gouvernait jadis d’une main ferme la pensée et l’instinct, dressant sa jeune tête comme un défi. Mais, dans les intervalles où elle retrouvait l’image de ce qu’elle avait été, elle goûtait à cette comparaison une satisfaction amère, car sa déchéance était la confirmation de ce qu’elle avait toujours pressenti.

— Annonciade est allée faire une course dans le village. Elle ne tardera pas. Voulez-vous l’attendre au jardin ?

— Promenons-nous donc dans la grande allée du parc, acquiesça Robert avec une plaisante emphase. Vous allez bien, Antoinette ?

— Fort bien, je vous remercie. Et vous-même, Robert ?

— À merveille, chère amie.

— Que fait-on à Frangy ?

— Les feuilles tombent. Bertrand se fait photo-