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TROIS PARMI LES AUTRES

tous temps à régenter sa vie. De vieilles inquiétudes fondaient aux rayons de ce soleil nouveau. Robert avait supprimé la mort, l’au-delà, Dieu lui-même, le jour où il lui avait dit, tenant ses deux mains dans les siennes : « Ne pensez donc pas à cela, mon chéri. Vous êtes là, vous êtes belle et je vous aime. Cela seul existe. » Depuis ce jour, l’étemel présent garanti par la voix aimée avait succédé à cet effondrement continu du temps qui naguère lui donnait le vertige.

Quand elle redescendait sur la planète nommée « Terre », elle avait pour ses aspects connus et pour ses habitants un sourire de tendresse nuancé de supériorité : ainsi, quand on retrouve sa petite maison après un long voyage.

Antoinette était au premier rang de ses préoccupations terrestres. Non qu’elle songeât à lui être reconnaissante de son bonheur. Il était dans la logique de son illusion d’oublier les dangers courus et de croire à la fatalité de ce bonheur. Mais maintenant qu’elle le possédait à elle seule elle aurait voulu y associer son amie, et souffrait de ne le pas pouvoir. Dans l’affection qu’Antoinette lui témoignait, en réponse à ses effusions intimidées, elle sentait une réticence invincible. Toutes deux faisaient les mêmes gestes qu’autrefois et disaient les mêmes mots. Mais un écran s’était élevé entre elles, qui interceptait les rayons du cœur. Et, quand tous se trouvaient réunis, Antoinette, dont chaque mot prononcé en public était un mensonge, chaque geste une comédie, Antoinette choyait avec un horrible plaisir le renard qui lui rongeait les entrailles. Rôdant aux bords du cercle de lumière où se