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TROIS PARMI LES AUTRES

maladivement avide de sa présence, maladivement acharné à la mettre en colère par une attitude qui signifiait : « Puisqu’il faut un esclave à Madame, un paillasson pour les pieds de Madame, le pauvre André est là… le pauvre André a l’habitude » ; mais surtout, l’attrait déchirant de l’amour qui éclatait dans tous les regards, dans tous les gestes d’Annonciade et de Robert.

Les jeunes gens devaient se fiancer officiellement en octobre, quand on aurait accompli la formalité de la présentation aux parents, prévenus par lettre et qui se réjouissaient benoîtement, comme tous les parents qui marient leur fille. Robert s’était rendu sans résistance possible à la simplicité d’Annonciade qui identifiait tout naturellement l’amour et le mariage. Il l’appelait avec une tendresse enjouée : « Ma petite corde au cou. » La petite corde au cou riait, ravie, mais Antoinette se demandait parfois combien d’années s’écouleraient avant qu’il prononçât ces mots-là sur un autre ton.

Annonciade vivait dans une atmosphère de miracle. Et c’était bien un miracle. Il ne lui semblait pas que Robert fût un homme tant elle aimait ce qu’il y avait de particulier dans sa personne. Elle éprouvait toujours la même aversion craintive à l’égard du sexe opposé — mais comment confondre son fiancé avec la foule des créatures mâles ? Ce n’était pas un être, c’était un monde dont elle découvrait peu à peu les lois et cela n’allait pas toujours sans effarement : certaines de ces lois étaient en opposition avec ses propres tendances, mais elle s’y soumettait sans discussion, illuminée par un astre qu’elle croyait unique et destiné de