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TROIS PARMI LES AUTRES

fausses béatitudes, vous êtes persuadée que vous êtes libre.

— Ce n’est pas la même chose, dit Antoinette avec embarras.

— Pourquoi ?

— Parce que…

Il avait obtenu ce qu’il voulait : un visage bouleversé qui cherchait à fuir le sien, un regard où il lut l’aveu de la défaite, le dernier sursaut d’une fierté désespérée. Cela lui rappela soudain le regard d’une jeune lionne blessée qu’il aurait voulu guérir pour l’apprivoiser. Mais il était impossible de l’approcher : elle était morte, indomptable, léchant ses plaies. Celle-là ne serait ni incurable, ni indomptable.

— J’ai l’impression, murmura-t-il en serrant plus étroitement le bras d’Antoinette, non, j’ai la certitude, que je n’ai pas besoin de vous prêcher beaucoup pour vous ramener à la foi. Vous êtes de ces incroyantes dont la piété ferait honte à leur curé. On prétend que les grandes amoureuses ont l’amour de l’amour, et sans doute elles ont tort. Vous, vous avez la haine de l’amour et vous avez non moins tort. Mais pour peu que vous soyez vaincue, que votre ennemi s’incarne dans un être et vous tende les bras, et que toute votre haine fonde contre son cœur, alors, quelle flambée, ma belle amazone…

Il parlait et chacun de ses mots faisait flèche, chacune de ses intonations. Dans cette discussion sur l’amour, prétendue générale, ils n’avaient pas cessé de penser à eux-mêmes. Antoinette se dit qu’il n’avait pas saisi un instant ce qu’il y avait d’impersonnel ou plutôt de supra-personnel dans